Un caillou bois, un morceau de ficelle... Il écrit tout ça sur une feuille de papier qu'il faut bien dire d'une blancheur impressionnante. Il ajoute un chien mouillé aussi ; un verre vide, une calebasse emplie de citrons posée sur un coin de la table de marbre... Moins blanche la page maintenant. Déjà noircie au tiers (l'écriture est généreuse) par ces mots si simples.
Alors levant les yeux vers les yeux de celui qui lisait, intrigué, par-dessus son épaule, il dit humblement" : Ça n'est que ça, la poésie". Et l'autre, surpris, lui parle alors d'où il vient : un pays de cailloux. Lui parle de bouts de bois et de morceaux de ficelle avec lesquels il fabriquait, jadis, les jouets de son enfance...
Les verres ne restent pas longtemps vides quand on cause ainsi des choses de tous les jours. Tout le monde a aimé un chien mouillé, une fois au moins dans sa vie. Mais certains, par pudeur, n'en disent rien. C'est pour ceux-là - qu'ils osent enfin parler ! - que le poète écrit parfois un petit poème. Très simplement.
- "Patron ! remettez-nous ça !"
Pierre Autin-Grenier - extrait de "Jours anciens" - L'Arbre éditeur
3
l'image et le mot sont-ils liés ou bien
l'un toujours après l'autre pour que le voir
ou le dire l'emporte chacun son tour
ce que les yeux ont vu là-bas être vu
ne lui suffit pas cela s'érige et rôde
et rue contre le mouvement du poème
mais qu'est-ce qu'un élan minéral et blanc
un silence vertical un songe de pierre
4
l'arracher de mes yeux en faire autre chose
me disais-je en montant l'escalier de marbre
qui donne sur le vide ensuite je marche
sur la crête d'un mur puis sur de vieilles planches
rongées par la pluie le soleil cette fois
je sais où il se trouve et il est bien là
mais tout gris dans la buée bleue le bois craque
sous mon poids ou le torrent de lumière
5
assis dans la fraîcheur en ruines je vois
la plume de Jean prendre l'air comme fait
la langue pas la mienne qui tourne en vain
un bout de souffle et n'en tire pas de forme
un bour de plâtre tombe de la coupole
et crée de la poussière avec ce qui fut
une feuille à ma main semblable et pourquoi
suis-je troublé par l'intacte l'implacable
jeunesse des quatre colonnes de marbre
leur peau si transparente dans le soleil
leur galbe insolent de sirènes de pierre
6
très ordinaire un pic ce matin flanqué
d'une double pente qui sert d'horizon
un saint décoloré dans sa niche et moi
regardons le ciel un peu de vent souligne
le silence à gauche un bâtiment ruiné
le feu a cuit les pierres tordu le fer
la cendre qu'on voit serait celle des livres
7
les mots se passeraient bien des choses comme
les doigts des morts n'ont pas besion d'être utiles
le tonnerre au loin remue un tas de caisses
vides les quatre ifs de la fontaine indiquent
la direction de l'immobile la terre
tourne sans faire crier l'air juste un rond
remous bleu dans l'épaisseur d'on ne sait quoi
(…/…)
Bernard Noël - extrait de "le reste du voyage" (éd. du Seuil) - poème "Le Passant de l'Athos"
1 H.
Elles ne se sont pas jetées devant les trains.
Elles nous ont laissés partir.
Elles avaient des fleurs, des baisers, des larmes -
elles sont de plus en plus petites devenues
comme si nous étions immobiles
et elles parties.
Nous nous demandons pourquoi nous sommes encore là,
parmi les vivants. Nos morts restent avec nous.
Ils nous regardent d'un regard brûlant.
Nous savons ce qu'est une colline, et y monter.
Un trou.
Nous savons ce qu'est une haie, une haine.
Une route, toute route.
Nous savons aller d'un point à un autre. Être immobiles, attendre.
Être assourdis. Être ensevelis.
Deux patrouilles se croisent sans se battre.
Un jour nous fûmes morts et vivants assez
pour dire Cesse,
pour dire Non, on ne marche pas.
Une journée de silence, de non-marche, de fumée.
Ils attendaient que cela nous passe.
Peur peut-être.
Mais nous ne voulions tuer personne.
Éteints. Camarade dont la tête est partie rouler à
dix mètres. Nous nous sommes retirés,
retraités en nous-mêmes.
Nous ne sommes plus sortis de nous-mêmes jamais.
Le fou furieux qui s'y croyait
on l'a calmé
d'un coup.
(…/…)
extrait de "Un hymne à la paix - 16 fois" de Laurent Grisel (inédit)
On peut, il faut, en lire plus sur le site de Laurent Grisel
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