Lors des "Lectures sous l'arbre" de l'été 2013, les Éditions Cheyne m'ont demandé d'animer un stage d'écritue sur 6 jours, avec des spectateurs du fesival.

Quelques extraits des travaux d'atelier, là encore, une sélection subjective parmi des travaux riches et divers.





La différence avec le secret

Maintenant, je vole.
Pour combien de temps ?
J'ai découvert un truc :
Voler est très angoissant.
L'autre jour, je planais tranquillement sur mes souvenirs et un clocher en pointe s'est soudain érigé devant, comme cela.
J'en ai eu la barre au ventre et les jambes toute flagadas.
J'ai mouliné comme un dingue, les cuisses toutes gonflées.
Et puis la crête du coq m'a caressé l'entrejambe.
Le soulagement.
Je planais alors encore plus haut.
Un instant, un milan royal se mit à ma hauteur.
Mes jambes formaient un V comme sa queue.
Et les chauds ascendants glissaient sur ma poitrine, mes entrailles puis s'échappaient.

La différence avec le secret

Il n'y en a pas. Pas de différence.
En vrai, le secret de l'envol vous ne le connaîtrez pas, enfin j'espère pas.
Seuls les trois morts de la semaine sont au courant et ils n'ont rien dit au chroniqueur de la radio.

Mort avant de s'écraser
Le lombric ailé
N'a rien dit.

Yves Léauté




À partir d'un poème de Becket (extrait de "Bing")

Le tout blanc n'existe pas, même si le ciel parfois…Et toi qui a les cheveux blancs, es-tu " blanc " ?
Je te vois, nu-tête dans le blanc, qui es-tu ? Je vois le noir des cils dans le blanc du visage, je vois tes lèvres sombres dans le blanc, tu n'es pas " tout blanc ".
Ton corps respire, ta tête, tes bras, tes jambes disent des couleurs, je vois des ongles clairs, ta peau brune et bronzé, ton regard éclairé. Je vois tes bras repliés sur tes seins cachés, du secret qui descend sur tes reins, je cherche à te voir dans ta vérité et mon regard change et tourne dans toute ta complexité…
Je vois le bleu de tes yeux dans le blanc du visage, le gris de tes cheveux qui brillent, les rides de ton front sur le lisse de ta peau, tu t'éclaires et tu nais de tes obscurités.
Je vois le rose de tes mains ouvertes, tes doigts dépliés, reposés, offerts.
Je vois le creux du ventre, ombre de ta naissance dans la douceur de ta peau. Je vois le sombre au creux de tes jambes, je vois tes genoux repliés, je vois tes pieds posés…

Haïkus

Caché, fragile, enfermé
Émerger tu n'oses
Aveugle libre en toi

Protège ton île
Jardin secret
Dire tu n'oses

Regard de l'autre
Silence enfermé
Ma liberté

Denis Caillet




Fillette de papier
Elle
Pulvérise le silence

Le secret de l’amiral
Révèle
Le sacré de l’animal

La mallette du ministre
Contient
Un séminaire de vide

Ils sont douze et les mots fusent
Deux d’entre eux partent, voyagent
La mer, une barque, tout s’ouvre
Sur le miroir le temps s’épuise
Marcher sur l’eau, y ramasser des perles
L’horizon est avenir
Et la robe, soyeuse

Reste belle, fière, la beauté n’a pas d’orgueil.
J’avance vers toi dans la nuit marine, ta lumière me guide et les battements de ton coeur me parlent de tes songes. Tu n’es ni petite ni absente mon amour et la vie est précieuse. L’air te sera seconde naissance, derrière nous aucun sillage, nous serons légers, vivants, nous serons habités par la joie.

Marie-Hélène Gendrin




D'après un poème de Marie Huot - extrait de "Chants de l'éolienne" Éd. Le Temps Qu'il Fait

Je t'appelle, du ventre de la baleine je t'appelle

Et si je ne t'écoutais pas ?
Et si je te laissais aller vers ton destin ?
Me crois tu plus fort que toi ?
Me crois-tu capable de repousser l'inéluctable baleine
      Et d'empêcher les cités de finir en poussière ?
Où va la baleine qui nous dévore, le sais-tu ?
Et d'ailleurs… si Jonas est sorti du ventre de la baleine
Peut-être sortiras tu ?
      Mais
A la chasse à la baleine, à la chasse à la baleine
      Je ne veux pas aller
Même si elle a mangé ma compagne
Pourquoi irai-je tuer quelqu'un qui m'a délivré
Qui me permet de vivre enfin ma vie
Assis au bord de l'eau, je contemple la mer
Avec ma canne à pêche sans hameçon…

Christiane Doreau




La présence de l'absence

Formes triangulaires bleutées clignotent sous les paupières
s'ouvrent
carré blanc de lumière sur le mur
se referment
balaie les heures passées
pli du drap oreiller trop dur trop mou et
contre la joue une voiture passe
formes triangulaires qui respirent
cerveau durci sous l'effort
une voile à l'horizon qui disparaît
impossible à saisir
cerveau à abattre
souffle
empreinte du corps horizontal
momie égyptienne
chiffres rouges du réveille-matin
passent les heures blanches polaires
encore une nuit


Fable

La goutte d'eau et le vase
Une goutte d'eau dans un robinet attendait la main qui l'en délivrerait. Depuis si longtemps déjà elle guettait le déclic qui la ferait jaillir et suivre sa voie.
Elle avait tant traîné de rivière en nuage, de ruisseau en orage qu'elle attendait le moment opportun pour vivre une vraie vie même éphémère
. Dans l'évier sous le robinet un vase apparut ; il avait tout vu tout entendu, avait été garni de fleurs pour toutes les occasions, baptême mariage anniversaire divorce.
Il attendait. Elle attendait.
Leur attente fut récompensée.
L'eau d'un coup jaillit, coula, remplit le vase à moitié, coula encore et encore jusqu'à cette goutte d'eau qui, hélas, le fit déborder.
La goutte d'eau se perdit dans d'autres tuyaux, se perdit sous terre, dans les égouts et dégoûtée, perdit la tête.
Moralité : une goutte d'eau esseulée, n'y touchez pas, elle est fêlée.

Françoise Johnen




D'après " L'essuyeur de tempête " d'André Hardellet

Tombeur de sommeil.

Vous connaissez sans doute, ceux qui rêvent éveillés, les yeux portés vers un lointain perdu et les mains dans les poches.
Vous connaissez aussi les affairés qui ne s'arrêtent jamais, qui vont, qui viennent, qui s'agitent, ont tant et tant à faire.
Sans parler des inquiets qui n'ont pas réussi à fermer l'œil de la nuit comme on éteindrait la lumière.
Peut-être même connaissez vous des âmes en peine et qui ressassent encore et encore leurs chagrins éculés, leurs maux de longue peine ;

C'est à ceux là que vous aurez à faire, ceux qui malgré l'usure du jour, malgré les fatigues du corps, malgré les heures joueuses autour d'un verre de vin, ont refusé de succomber.

Il vous faudra être aux aguets, vifs et attentifs.
Commencez subrepticement à repérer votre spécimen.
Je vous conseillerais pour débuter de ne pas lésiner, d'en choisir un, bien typé.

Vous vous glisserez doucement derrière sa nuque alourdie mais qui résiste encore.
Lorsqu'entre deux phrases les mots restent en suspend, lorsqu'immanquablement son geste ralentit, c'est à cet instant là, celui là précisément qu'il vous faudra agir.
Avec votre bâton de lune, l'air de rien, sortant de l'ombre dans laquelle vous êtes blotti, TAC ! Cette fois vous l'avez eu !
Et le voilà endormi, votre homme, goûtant un plaisir rare.
Vous verrez que très vite, il réclamera votre aide.
Je vous assure, tombeur de sommeil est un métier qui ne laisse guère de repos.

(Après la lecture de Bing de S. Beckett)

Fragments

Corps - Pantin
                  Désarticulé

Déboité - Haut/ Devant - Bas/ Renversé - Derrière/ Bas - Devant/ Bascule
      Pile ou Face ou Pile.

Les yeux encore
Les yeux pourtant.

Pâle - Comme lavés - Délavés -

Blanc. BING. Bleu. HOP. Blanc. TIENS. Gris. VU. Blanc.

                  Noir.

                                     Pâles. Lavés.
Couleurs fanées.

Sauts, saccades, humeur.

Humeur du temps.

BING encore

Un, un - Une, une seconde

Temps perdu ? Où ?

Dehors, dedans ?

                  Sans mesure. Ni mètre. Si.

      Blanc. Noir.
              Décousu
                             Entamé

Angles vifs/ Angles morts

À corps perdus
          Musique tendue      comme prière de silence

Fouillis/ Eclats/ Vertige      Lancinante litanie

            Quoi encore ?

On ne sait plus. Engrenage pourtant     main dedan   et hop   s'écarte -
Là/ Retour
            Suspend - Silence

Isabelle Cordier