La flèche taquine

 

 

La tension de l'opposition tue le papillon s'envolant figé sans son aile            droite             ou             gauche

                             ..il n'y a pas de questionnement dans la certitude

Le trigone lui criant doucereusement  l'évolution quadrilatère des consciences par le haut-parleur.

Mais qui a volé le haut-parleur ?

Il  n'est plus celui qui court à la vitesse de la ruse taquine rejoignant Omar dans les caves divines de la quête

Tu le devines..?

Un martien habillé de la robe des connaisseurs se faufile

Aventurier et téméraire caché dans l'hiver des explosifs

Dans la veilleuse froide, excité par le printemps qui pointe le bout de son nez

On ne garde que la flèche lorsque l'on oubli le temps

                                                                       

                                                                        ..La maturation est chaude et lente

                                                                                le désir t'emmène Alif

                                                                                    ne tend fait pas  au fond tout est déjà là

 

 

ZZZZZZZZZ

 

 

Agité par un vent violent le zèbre se penche sur le puits du ciel

Soutirant l'adhésion de la bouche d'un propulsement imminent

Elle touche se touche se pénètre s'émulsionne se murmurent fort fort

l'acquittement dans le miroir

Prêt

 _  zéro zèbre  _      Fondation dans l'effondrement

 

Agrippée à l'agitation des sens, le puits s'affranchit par la seule volonté - salivaire

Dans le sanctuaire  les sangsues se penchent _       

L'air est un tourbillon de fureurs calmes calmement sagittaires

Le seigneur des tirs s'affiche       

Le mur tient bon

L'on se ment comme l'on se pend

Clairement ouvertement dans l'en dedans des reflets

Sortir sortir s'en tirer par le haut du bas _ collant _

Effilée, la jambe mute se tort vertic-horizontalement

L'Horizon n'est plus qu'un souvenir idéalisé, la Verticalité sait _ s'absenter

Lorsqu'on oubli de marcher

Alors qu'il ne fallait plus que marcher, lorsqu'il ne fallait plus que marcher

s'absenter pour se lever enfin

___________ _____ _ ____  ______ _ _ _ _ _ _ ______

 

 

Anissa Tamene




 

 

                                                           Je hais les gares

Les baisers qui n’en finissent pas

Les larmes qui s’égrènent,

Les portes qui se ferment

Toi qui me tiens dans tes bras 

.Je hais les gares

les courants d’air nous transissent

Je plains ceux qui restent

Je pleure ceux qui partent

La fièvre et la peur m’envahissent

Je hais les gares

Les haut-parleurs qui perdent leur âme

Les gens qui se bousculent

Les valises noires qui circulent

A la tête j’ai la barre.

Je hais les gares

Les rails devenus des cimetières à mégots

Les vitres sales des compartiments

L’inquiétude, un quai envahissant 

Et toi, sans un mot.

Je hais les gares

Tu m’as si souvent obligée

Avec tes promesses de retour proche

Et ton sourire moche

Ta fierté non dissimulée,

Je hais les gares

On dirait une fête foraine

Avec ses manèges pour grands et petits

Du bruit, j’ai le tournis

La queue du fantôme perd son haleine.

Je hais les gares

Tu emportes avec toi

Les promesses que tu as jurées

Les rêves non réalisés

Maintenant du froid

Je suis la proie

Je hais les gares

Je quitte ce lieu maudit

Je ne vais pas me laisser avoir

Par mes souvenirs en mémoire

Je vais dire oui à la vie.

 

 

 

Annie Maréchal




 

 

Aujourd’hui

 

Aujourd’hui, tout le monde est intelligent. On ne peut aller quelque part sans rencontrer des gens intelligents. C’est devenu un véritable fléau social.

Assister aux événements culturels permet de faire briller son intellect. L’autre jour, tout le gratin parisien se pressait à l’Opéra Bastille pour assister à la première du Vaisseau Fantôme de Wagner. Il était de bon ton d’y être, et d’y paraître. Dans les dîners mondains, avouer que l’on avait omis d’y paraître équivalait à un crime de lèse-majesté. C’était comme avoir raté la dernière expo Picasso ou Soulages, vous étiez le « has been » de la soirée.

Pourtant, quand j’écoute Wagner, j’ai envie d’envahir la Pologne. Tous ces cuivres tonitruants, assourdissants, dignes d’une marche militaire, nous plaquent des allures belliqueuses et je passe sur l’attirance du régime nazi pour ces musiques.

Après le spectacle, tout ce petit monde se retrouve au bistrot du coin, car il est de bon ton désormais, de se mélanger au peuple. Le café est le dernier salon où l’on cause, les brèves de comptoir sont devenues très branchées, on les édite, on les met en scène.

Il est vrai qu’elles reflètent à merveille l’état d’un peuple, ses angoisses, ses vérités et son humanité. Mais attention, la boisson est la plaie des classes qui travaillent.

A moins que ce ne soit le contraire : « le travail est la plaie des classes qui boivent. »

 

 

Chantal Verrot




 

Petits bonheurs

 

Avoir un nouveau prénom sur la langue.

Le bonheur, pour une épaule, de pouvoir soutenir une tête.

Le bonheur de réveiller la couette endormie, pour pouvoir s’endormir à son tour.

Ebouillanter le chocolat avec le lait chaud.

Entendre les cordes de la guitare électrique de son voisin du dessus se casser une à une, sous les griffes d’un chat entré là…par hasard.

Reconnaître sans réfléchir une voix familière.

Respirer un livre, et toutes les mains qui l’ont déjà lu, tous les rêves qu’elles ont déjà faits.

Il m’a allumée. Moi, bouilloire, je peux enfin me réchauffer, après tant de longues heures passées à attendre sagement dans le courant d’air, près de la fenêtre. J’en profite pour lui faire chauffer son café.

Le bonheur d’être une réunion de travail, moment propice à l’évasion et au sommeil profond.

Le tyran s’est trompé de bouteille de vin. Celle-là était empoisonnée : il la destinait à son ennemi.

 

Claire Chassagne




 

 

 

Histoire en négatif

 

Dans la cour où Albert ne s’asseyait pas souvent, il n’y avait pas un coin d’ombre.

Même le chat n’y venait jamais et, sur le rebord de la fenêtre, les fleurs de la jardinière ne poussaient pas.

Ce jour-là, il ne s’était pas levé de bonne humeur. Il n’avait pas beaucoup dormi et la vieille douche de la salle de bains n’avait pas daigné cracher une goutte d’eau chaude.

Albert n’avait pas trouvé ses pantoufles en sortant de la chambre et, dans la cuisine, la boîte à café ne contenait pas un seul grain du breuvage magique.

Pour couronner le tout le facteur n’était pas passé et Albert ne pouvait donc pas lire son journal, même sans café.

Bref, une journée où il n’aurait pas dû se lever.

 

Évelyne Lamberg




 

 

Matin

 

Le matin du monde a ouvert les volets : il a salué l’Aurore aux doigts de rose, qui courait nue sur l’herbe de rosée.

Il a coiffé les pétales froissés des fleurs qui s’étaient enrhumées au bord de la rivière timide.

Il a balayé le seuil d’hier qui hésitait à ouvrir ses ailes pour un nouveau départ.

Il a ouvert de robinet des gazouillis d’oiseaux, des chants de fillettes et des ronronnements de chats.

Il a mis sur le feu la bouilloire aux souvenirs qu’il servirait à ses amis, ce soir, à la grande veillée, faisant briller les yeux des enfants roses et des fiancées enrubannées.

Il a dépoussiéré les années de rancœur accumulée, de regrets jamais exprimés. Il a rincé les larmes des écoliers punis, des femmes abandonnées.

Il a repassé les vilains plis de nos petites habitudes et lavé à grande eau les noirceurs de nos âmes.

Il a ciré les rugosités hivernales et les sécheresses de nos cœurs emmitouflés.

 

Il a remis les pendules à l’heure : la journée commençait bien.

 

 

 

 

Lettre d’amour

 

Du bout des doigts, je suivrai le tracé de tes veines.

J’écouterai à tes tempes le rythme de la nuit

Je caresserai violente tes silences de bronze

Je porterai sereine la lourdeur bénie de ton poids d’homme

et le genou ployé je confesserai sans honte mes plus terribles envies

Je mangerai tes mots pour renaître de toi et deviendrai silence après tes interdits.

Ne t’effraie pas de mes appels déchaînés, je reste, tu le sais un  souffle de buée

et ma force secrète ne saura faire obstacle à ta liberté enviée.

Je suis ton mystère inavoué, ta voix sans écho, tes larmes sans chagrin

et la trace de moi restera effacée sur la longue plage de ton existence

 

 

Musique

 

Au-delà des voix, il y a un ailleurs mais je n’en trouve pas l’entrée.

Des ombres noires s’agitent au-dessus de ma tête et m’effrayent. Cet aquarium m’étouffe. Je touche cette vitre glacée et les sons me reviennent en sourdine, vidés de leurs sens et de leur mémoire.

Exilée dans ce désert inconnu, je perds sensation de moi et me retrouve ligotée à des arbres funestes dont les feuilles argentées tombent en un frémissement métallique.

Les fantômes s’agitent et dansent sur des rêves de voyage mais les échos les trompent et l’horizon les coupe.

L’Archange du Passé plane au-dessus de l’étang noir en une valse macabre qui asphyxient mes souvenirs.

L’air saccadé de parfums vénéneux enserre en sa poigne inflexible les regrets et les remords des orphelins.

Leurs regards enfiévrés me renvoient à ma noire solitude et me refusent une main charitable ou un infime espoir………..

 

Que j’aime le Silence !

 

 

Fabienne Faury




 

 

Petites annonces

 

Pour un essuyeur de tempêtes :

On demande ménagère de sexe masculin pour entretien de cap breton et nettoyage de marée noire. Prévoir liaison mouvementée avec le personnel du service météo.

 

Vous disposez d’un bon coup de torchon ? Présentez-vous au Zéro, Œil du Cyclone. Nombreux déplacements à prévoir.

 

Pour un tondeur d’œufs :

Cherche coiffeur spécialiste des chauves pour mission dans poulailler. Coq de village s’abstenir.

 

Aphorismes

 

Marcher à reculons dans le noir, c’est un cauchemar qui progresse.

Quand il pleut des enclumes, les forgerons sont débordés.                    

Mendiant mais couvert de fruits secs.

La plus étrange des femmes est une flemme sans aile.

La farce du destin nourrit les cimetières.

 

Rien ne sert de courir, il faut mourir à temps.

La couleur de l’espoir est le vert galant.

 

Prendre la vie pour ce qu’elle vaut et la rendre au centuple.

Prendre la mouche et la rendre au coche.

 

 

Le dernier homme sur Terre est assis dans sa chambre. On frappe à sa porte.

 

Toc toc toc.

Oui, vous avez bien lu, il a bien entendu, trois petits coups, toc toc toc. Non pas les trois coups majestueux du théâtre. Ni les trois coups dramatiques du Destin. Trois simples petits coups, banalement frappés contre le bois de sa porte, comme faisaient ses voisins ou les membres de sa famille lorsqu’ils existaient encore, il y a des années.

Depuis qu’il est seul, dernier homme sur Terre rappelez-vous, personne n’a fait retentir un tel son. Donc, se dit-il, donc. Il réfléchit. Mais l’énigme ne se laisse pas résoudre et, la curiosité l’emportant sur la crainte, voilà, c’est fait, il a ouvert sa porte.

Personne.

Logique n’est-ce pas ? Sur Terre ne vivent plus avec lui que quelques animaux et qui a jamais vu un hérisson ou un serpent frapper à une porte ? Il avance d’un pas sur le seuil pour regarder alentour ce qui a pu lui échapper à première vue. La deuxième vue et les suivantes n’apportent rien de plus, l’habituel paysage de campagne est devant lui, arbres, herbes folles, quelques nuages, rien ne manque, rien de nouveau.

Il referme sa porte, dubitatif, des extraterrestres frapperaient-ils sur une porte à la manière des humains ? Deviendrait-il, hélas, fou de solitude ? Si c’est le cas, plutôt que toc toc toc, vieux toqué que tu es, tu aurais pu entendre des voix. Et faire la conversation.

Pour se distraire il n’a que cette mouche obstinée à franchir la vitre de la fenêtre fermée, que c’est bête une mouche, il lui ouvre, allez file, et réalise qu’il n’a pas entendu vrombir cet insecte stupide. Il n’a pas entendu non plus le bruit de la fenêtre refermée, ni, il recommence, rouverte, il recommence, ouvre, ferme, aucun bruit.

Il fait claquer ses doigts contre son oreille droite, puis gauche, il souffle fort en se pinçant le nez, crie, applaudit, des deux poings tambourine contre le mur, fait tomber, non, rien, il ne va tout de même pas casser quelque chose pour se prouver qu’il est devenu subitement sourd.

 

Bon, se dit-il. Dont acte.

Rien à ajouter.

Être le dernier homme sur Terre mène à la résignation.

 

Dans le potager le chien, on le voit par la fenêtre de la cuisine, galope dans les salades, cet imbécile aboie après un papillon. D’un bond notre homme ouvre la fenêtre et lance un grand coup de sifflet, du moins le suppose-t-il, dans l’absence de son qui l’entoure désormais. Il n’a pas sifflé assez fort dirait-on, pour se faire obéir, il vocifère, hurle. Le chien n’en a cure, écrase les fanes de radis en sautant après le papillon, sa gueule toujours grande ouverte à aboyer. Il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre.

Le dos tourné à ce remue-ménage, le rouge-gorge picore les miettes de pain jetées ce matin pour lui. Tout ce vacarme ne le trouble pas.

Pas plus que les merles rassemblés dans le cerisier pour se gaver de burlats. On veut bien donner des miettes de pain mais pas la récolte de cerises, ça suffit les bêtises, l’homme hurle par la fenêtre, Ça suffit, Assez, claque dans ses mains à s’en faire mal aux paumes. Les merles picorent toujours. Bon sang, comme un carillonneur il frappe deux casseroles l’une contre l’autre à coups redoublés.

S’arrête.

Le rouge-gorge est encore là.

Et tous les merles.

Seul le chat, qui s’insinue sans bruit dans les herbes en levant les pattes, les fait fuir d’un coup lorsqu’il entre dans leur champ de vision.

 

Le dernier homme sur Terre s’est effondré dans son fauteuil. Tous sourds, nous sommes tous devenus sourds, se répète-t-il. En quelques secondes. Mais comment, par quel ? Il secoue la tête.

Depuis les toc toc toc.

Lorsqu’il a ouvert la porte, que s’est-il passé ? A qui, à quoi a-t-il ouvert ? Il réfléchit. Qui se tenait derrière la porte ? Qui a voulu entrer, quel intrus, et comment, et ?

Seul le silence répond à ses questions. Le silence répond.

Le silence.

 

Par cette porte ouverte le silence, oui, s’est faufilé, il s’est introduit comme une vague en douceur imprègne le sable et se fond dans les profondeurs, comme la brise pénètre dans les bois et s’étend sur les prairies. Sur tout ce qui vit encore sur Terre le silence vient d’installer son empire, il a rendu la planète à la paix de l’univers où se déroulent sans bruit les plus effroyables explosions, où sans bruit les plus merveilleuses étoiles vivent et meurent, où le temps lui-même n’est que silence.

 

 

 

Lettre de démission du Diable à Dieu

 

Seigneur,

En des temps reculés vous avez été mon Seigneur et Maître, j’ai été votre Ange le plus proche, votre plus fidèle collaborateur jusqu’à vouloir, plus que vous, que votre Volonté soit faite. Activiste, j’en faisais trop, mes résultats dépassaient vos prévisions, j’étais trop proche de votre pouvoir. Vous m’avez éloigné.

Je vous faisais de l’ombre et vous m’avez mis au placard, c’est ce qu’ont clamé les jaloux et les imbéciles. J’ai été votre ange déchu, je suis devenu le Diable. Démultiplié, j’ai été Satan, Lucifer, la Bête aux pieds fourchus, le Malin. Multicarte. Une promotion, somme toute.

Vos voies ne me sont pas impénétrables, Seigneur, ma descente aux enfers n’était qu’une stratégie pour que clamer comme il convient votre grandeur. Mon exil dans ces contrées reculées où j’ai installé l’Enfer, mon siège social, était planifié. Plus je faisais le Démon et menaçais les hommes de mes flammes, plus votre Gloire grandissait, plus les hommes se jetaient à vos pieds en vous suppliant de leur accorder l’éternité à vos côtés. Dans mon Enfer souterrain je travaillais pour vous, au fond j’étais votre meilleur agent, la taupe dont le double-jeu favorisait votre Toute Puissance.

C’est bien fini tout ça.

On dit que les hommes ne croient plus en Dieu, que les religions déclinent, on dit les humains devenus matérialistes, sans foi mais bardés de  lois.

Si ce n’était que cela…

En réalité, si votre puissance marque un recul, c’est que mon rôle s’est épuisé. Les hommes ont trouvé le moyen d’être aussi diaboliques que moi. Voilà la dure vérité : le Diable n’existe plus. Il s’est dilué en chacun de ces misérables êtres humains qui naguère se signaient au moindre souffle et n’osaient pas même prononcer mon nom. A présent le diable est partout et ricane en chaque homme dépourvu de toute crainte.

Me voilà au chômage technique. Tous ces robots humains mécanisés, dépourvus d’âme, sont une armée de diablotins qui marchent sur mes plates-bandes sans craindre de se brûler les pieds qu’ils n’ont même pas fourchus. Si fiers de leurs moyens, si capables de s’autodétruire, qu’ont-ils à faire d’un vieux diable comme moi, isolé ? Je suis seul à avoir droit à l’appellation Diable mais ils sont légion face à moi, ils me narguent, l’union, disent-ils, fait la force. Ils prétendent être plus Malins que moi.

Petits plaisantins.

Ils vont voir de quel bois je me chauffe.

Tout ce qu’ils méritent, Seigneur, c’est ma démission. Que deviendront-ils sans moi sinon une horde de mécréants n’ayant plus rien à craindre ? Mon absence entraînera leur perte, dépourvus de tout adversaire les plus forts se battront entre eux et s’extermineront, les plus faibles seuls resteront et ils trembleront de solitude. Le vide, le néant que connaîtra alors l’humanité sera mon œuvre. Ma grande œuvre. Mon œuvre au noir.

Alors, Seigneur, nous connaîtrons à nouveau les temps où j’étais votre Ange le plus valeureux car ma démission, que je vous adresse aujourd’hui, ramènera à Vous tous ces pauvres diables qui auront épuisé leurs éphémères et dérisoires puissances. Plus que jamais Votre Gloire brillera  dans les siècles des siècles et je serai pour toujours votre dévoué, quoique démissionnaire,

Ange des Ténèbres

 

 

France Régnier




 

 

 

Les surnoms

Je pense à Mickaël, il doit avoir maintenant dans les 45 ans¼

C’était en Angleterre et j’étais la jeune fille au pair. Mickaël avait sept ans. Au grand désespoir d ses parents, Mickaël, contrairement à son frère et à sa sœur, ne s’asseyait jamais à table : trop de choses à faire, les copains à retrouver, jouer au cricket, faire du vélo¼ Il m’ignorait totalement.

Quand il faut que ça aille vite et qu’on a faim malgré tout, une faim de petit garçon de sept ans, on mange plutôt salement, d’où son surnom : cochonnet pressé.

Je me demande si on l’appelle toujours ainsi.

 

 

Josée Dauphin



 

 

La diva cicada

 

 

 

La chanteuse des bois stridule à qui mieux mieux dès que soleil et chaleur sont au rendez-vous. Ses ailes, ses pattes vont et viennent allègrement. Du matin au soir elle s’époumone. Son craquètement strident et monotone peut lasser.

 

Caméléon, elle se confond. Vous voulez la faire taire, elle est introuvable, vous vous éloignez, elle est là.

 

L’économie n’est pas  son fort, elle libère toute son énergie en chansons dans la mesure où 30 degrés s’affichent au thermomètre.

 

A la saison plus fraîche, elle se replie, se fait silencieuse, sa batterie est à plat. Sa saison des shows est terminée. Elle a  faim, elle a froid, et ce n’est pas la fourmi, sa voisine, qui lui viendra en aide jusqu’à la saison prochaine.

 

 

 

Mon double

 

Je m’en souviens bien, c’était à la tombée de la nuit, je me promenais au bord du lac. Un moment, fatigué, je me dirige vers mon banc favori. « Tiens, il y a quelqu’un, flûte alors …. Tant pis, je suis fatigué, j’ai besoin de m’asseoir ».

 

Debout, près du banc, j’observe cette silhouette immobile. Silhouette jeune, c’est un homme. Penché en avant, il se tient la tête entre les mains. Ses doigts longs, fins, mains soignées semble-t-il,  mains de musicien ? Flash ! je me revois très jeune avec mes mains aux longs doigts  effilés qui couraient si joyeusement sur les touches du piano ….

 

Je m’assois, l’homme sursaute, ses mains s’écartent de sa tête lentement.

« Excusez-moi, lu dis-je, je ne voulais pas vous déranger, mais juste m’asseoir un peu pour me reposer »

L’homme sourit, se soulève pour me laisser de la place.

-          vous vous promenez souvent par ici ? demanda-t-il

-          oui, j’aime bien laisser la journée s’évaporer dans la brume apaisante de la tombée de la nuit

-          moi aussi, j’aime beaucoup ce moment de paix

-          à votre âge, j’étais aussi dans la boulimie des découvertes de la vie, et les moments comme celui-ci étaient plus rares qu’à l’heure actuelle, dis-je un peu provocateur

-          C’est un peu çà, c’est vrai, mais je suis musicien, je dois beaucoup m’entraîner, et j’ai sou vent besoin de calme en fin de journée

 

Quelle coïncidence, j’ai l’impression de m’entendre à son âge, c’est curieux de se retrouver dans quelqu’un au gré d’une rencontre fortuite

 

-          et vous jouez de quel instrument ?

-          du piano

-          vous êtes concertiste ?

-          oui, de ce fait je suis souvent en déplacement. Un jour ici, demain ailleurs. Ma roulotte est une musique. Je n’ai pas de chez moi. Ce banc est un chez moi pour quelques instants

 

Ému, je me tais. Lui reprend

-          je vous connais ? J’ai l’impression de vous connaître sans vous avoir vraiment rencontré auparavant

-          je ne crois pas, en fait

-          et pourtant,

-          et pourtant,  c’est comme si on se connaissait un peu.

 

 

 

Fable : l’hypoténuse et le psychologue

 

 

                        L’hypoténuse est heureuse

                        Elle relie ses deux points en permanence

                        Elle est fiable, ne faiblit pas

                        Si un grain de sable la fait vibrer

                        Elle perd sa fonction et son nom

                        Devient arrondi ou demi cercle.

 

                        Le psychologue la regarde en souriant

                        Elle en a de la chance se dit-il

                        Elle connaît sa fonction

                        C’est précis et sans bavure.

 

                        A son tour l’hypoténuse se marre

                        « tu en as de l’allure avec tes si, tes mais, tes pourquoi

                        Moi, je ne m’embarrasse pas, je relie les deux points

                        Et c’est point barre.

                        Si tu voyais ta tête, ton front qui se plisse,

                        Tes sourcils froncés, tes lèvres serrées …. !

                        Tu cherches quoi au juste ? 

 

-          Eh bien je voudrais que tu me donnes ta définition

-          Ah çà je suis mal placée pour le faire, il te faut

Consulter les hommes de l’art en cette matière.

Tu vois, j’existe, je sers, c’est mon destin.

Le reste est affaire de calculs et de mots,

D’ingéniosité et de science.

Ça n’a l’air de rien, mais je suis une belle trouvaille »

 

A chacun son art et son rôle et le monde tournera rond.

                       

 

 

Josette Maurice




 

 

Les  petits malheurs

 

 

Le jeu que j’ai fait n’est pas ce que je voulais,

Dit le petit garçon.

 

La poupée qu'on ma donnée, je n'en voulais pas,

Répète  la petite fille.

 

Non, ce n'est pas le père que j'imaginais,

Soupire l'adolescent.

 

Je ne pensais pas que ma mère était comme ça,

Murmure la jeune fille. 

 

Mon mari est plus radin que je ne pensais,

Songe la mère.

 

Souvent, ma femme est absente pour le repas,

Remarque le mari.

 

La copine du fils jadis téléphonait,

Donc c'est fini, constate le couple.

 

Maintenant, mon époux boude le ratafia,

S'inquiète la grand -mère.

 

Ce que j'aime faire, jamais ne le ferais,

Se lamente le fils.

 

Qui sont ceux qui pleureront lors de mon trépas,

S'alarme le grand- père.

 

L’héritage, jamais je ne leur donnerais,

Ronchonne l'arrière -grand - mère.

 

Dans mon métier je n'ai pas fait beaucoup d'éclat,

Constate le chef de famille.

 

Combien de nettoyages pour rien ai-je faits,

Déplore l'aide ménagère.

 

J'aurais tellement aimé plein de falbalas,

Rumine la maîtresse de maison.

 

Et voilà.

La fin de vie arrive sans tira-la -la,

Il eut fallu penser plus tôt à l'au-delà, 

Pour ne pas emmener que des regrets la-bas. 

 

A l’arrivée au ciel, Saint Pierre déplorait

De récupérer des humains insatisfaits.

Une deuxième vie, à tous apporterait

Une chance de trouver la joie à jamais.

 

Allez, tout le monde dehors,

Renaissez, revivez, aimez,

Faites tout ce qu vous voulez,

Mais, fini avec les remords.

 

 

 

 

Marie-Claire Carré




 

Quelques textes brefs

 

 

J’ai longtemps cru qu’Anna Purna était une actrice italienne.

J’ai longtemps cru que l’autorité s’achetait avec le Képi.

Quand il pleut des enclumes, c’est la fête des forgerons.

Quand souffle le vent, cessent les jeux d’enfants.

Le bonheur c’est broyer du noir pour en faire de la poudre d’escampette.

Dormir et rêver qu’on dort et survoler la cordillère des Andes, c’est le Pérou !

 

Un coup de froid, un coup de feu, et le vieil arbre s’ébroue de mille feuilles et mille morceaux.

 

 

 

 

Pierre Leynaud




 

 

Et s’il n’en reste qu’un…

 

Le dernier homme sur terre est assis dans sa chambre. Soudain, on frappe à la porte…

 

Il écrivait, sous le mauvais éclairage d’une lampe à abat-jour vert : l 

« …J’ai connu les sales dessous des familles les plus solides en apparence. J’ai connu les tripotages de ceux qui s’enrichissaient. J’ai vu ceux qui montaient, ceux qui descendaient, ceux qui dégringolaient et je me suis mis à étudier le mécanisme de tout cela.

l’être suprême me pardonnera s’il m’est arrivé de trahir mon serment en certaines occasions, si j’ai rendu justice de façon inéquitable sans âme et sans conscience, si je me suis laissé aller à quelque pression pour étouffer certains dossiers…… »

 

Un grattement à la porte. Il éteint. Il perçoit une respiration haletante. Il rallume.

 

Comment puis-je me comporter d’une façon aussi ridicule, Moi, Procureur de la République !

 

-          Entrez !

 

Le ton est péremptoire comme à l’accoutumée.

Le vent de la mort entrouvre la porte pour la laisser passer. Elle est là, sur le seuil, noire.

Accroché à la ceinture, son coffin, d’où émarge la pierre à aiguiser, bouge encore et donne tout son éclat au tranchant de la faux.

-          Bonjour ! Je ne me présente pas…Vous ne me demandez pas pourquoi je suis là…   Vous ne me demandez pas pourquoi tous sont morts … Vous ne me demandez pas pourquoi je vous ai épargné…Vous ne vous posez jamais de questions, pas plus que vous vous en êtes posées sur le nombre d’innocents que vous m’avez envoyé…

Le procureur, froid comme le marbre de la table de nuit, sans manifester le moindre trouble, de laisser tomber avec condescendance :   

-          Tu peux me dire tu !  On a usé nos robes ensemble sur les bancs des salles d’audience, non !!!

Avec cette étincelle d’ironie, cet éclat furtif dans le regard  qui proclamait :

«  Pauvre vieille ! Tu n’as pas changé, toi ! Toujours ce même assemblage d’os décharnés ! 

 

-     Très bien ! Alors regarde par la fenêtre ! Ne vois-tu rien ? Si bien sûr !

La pleine lune projeta l’espace de quelques secondes un long cortège de pauvres silhouettes   dont une, transparente comme une méduse dans la profondeur de l’eau.

-   Retourne-toi et regarde-moi dans le trou des yeux toi qui n’a jamais douté de rien et surtout pas de toi. Ne me dis pas que tu n’as pas reconnu la mère de la petite!  La petite, ça te dit quelque chose, non ! Mais si, souviens-toi :

« …Moi, procureur de la république du tribunal de grande instance, sous la dépendance du garde des sceaux, vous condamne à la perpétuité… »

Parce que tu avais fait en sorte qu’elle soit soupçonnée d’avoir tué sa fille. Mais toi, tu savais très bien qui était le tueur. Oui toi, gros porc ventripotent ! On trouve toujours assez de lâcheté pour martyriser plus petit que soi.

Tu te souviens à présent !

Courtisé, flatté, assoiffé d’honneur, tu n’as vécu que d’illusions, d’un peu de bruit, de soucis mineurs, d’angoisses dérisoires, de liaisons superficielles et d’amours mal assemblés. Avec toujours cet orgueil que donne le pouvoir et qui t’aveugle encore et maintenant. Fanfaronner, ça, passe encore ! Mais plus grave, affirmer envers et contre tout.

 

Tu ne dis rien ! Tu ne me réponds pas ! Bien ! 

«   Tu n’iras pas dormir dans le paradis blanc où les manchots s’amusent dans le soleil levant. »     Tu serais bien foutu de me  les envoyer eux aussi ! 

Non !

Je te condamne solennellement à vivre ou plutôt à survivre, seul.

Peut-être qu’un jour l’horloge te dira : «  Meurs, vieux lâche ! »

 

-          Survivre seul, non, nous serons deux, car Moi, Procureur de la République du tribunal de grande instance, sous la dépendance du garde des sceaux, je vous condamne, madame la Mort,  pour faux et usage de faux.

 

 

 

Je suis…Je ne suis pas.

 

Je suis la mouche !

Pas celle chargée d’agrémenter les décolletés !

Je suis la mouche du coche qui attaque, qui harcèle

Qui fait des bizz bizz bizz au creux de votre oreille,

Et  se pose sans bruit au sein de votre couche,

Pour têter la salive au creux de votre bouche.

 

Je suis la goutte !

Pas celle du bonheur qu’on voit  perler aux cils

Quand le cœur est en feu, que la raison vacille.

Non ! je suis celle qui tombe des corniches, qui se niche,

Qui dégouline le long des reins, et telle une claymore

Vous transperce la peau et vous glace le corps.

 

Je suis le nuage !

Qui vogue dans le ciel au couleur de pastel,

Et qui fait le printemps comme le fait l’hirondelle.

Non, non ! Je suis celui greli-grelo-grêlons,

Qui détruit les vergers, les cultures les moissons.

Qui l’éclair d’un orage, ravage le paysage.

 

Je suis la mine !

Pas la bonne mine aux couleurs tendres pêche ou rosée.

Synonyme de nature et symbole de santé.

Je suis la mine HB, la mine du crayon, 

Qui casse pour un oui, qui casse pour un non.    

Et  couvre de copeaux jusqu’à votre giron.

 

Je suis le caillou !

Pas celui de Poucet, de sa mésaventure.

Qui cherchait son chemin perdu dans la nature.

Non ! Je suis la plaie, la blessure, la morsure,

Celle qui entre dans la chaussure par l’échancrure,

Vous blesse, vous martyrise le pied et n’en a cure.

 

Je suis la puce !

Pas celle bien fondée des circuits intégrés.

Je suis la petite, la chafouine, la mal aimée

Celle qu’on accole aux mots saleté, malpropreté,

Qui vous mord les chevilles vous sucerait les os, 

Qui en papules rouges vous éclatent sur la peau.

 

Je suis votre mauvais génie

Celui qui vous pourri la vie

Je suis l’emmerdeur de service

J’ai tous les vices !

 

 

Rolande Ducret




 

 

Comment dormir

 

 

 

Comment dormir en pleine lumière ?

Le repos c’est pour les morts.

Se cacher pour paresser.

Quelle honte de cesser de s’agiter.

Pourquoi dormir aujourd’hui quand demain arrive si vite ?

S’arrêter, c’est la mort.

Dormir, c’est suspect.

Fainéanter, c’est criminel.

S’agiter, courir, même en rond, voilà ce qui compte.

Ne faites pas de rêves, bons ou mauvais.

 

 

 

 

 

 

L’œuf et le tambour

 

 

 

Un œuf tombe sur un tambour : BOM !

Le tambour résonne en sursaut.

Quel manque d’éducation, tomber comme ça à l’improviste…

L’œuf est frais du jour, il ne connaît ni bonnes ni mauvaises manières. Fort de son potentiel, il est plein d’audace. Un jour c’est sûr, il sera cygne, aigle, crocodile ou dinosaure !

Le tambour a une vieille peau, il aime sa mélodie bien réglée et craint les chants sauvages. Pourtant, cet œuf au rythme ovoïde lui prête une harmonie inédite. Finalement, il renonce à faire rebondir l’œuf sur le sol pour le briser.

 

Puis la mère de l’œuf retrouve son petit, et crève le tambour pour y faire son nid.

 

 

Principe de non-existence

 

« Nul n’existe, sauf preuve du contraire »

Ce principe fut adopté à la fin du XXIème siècle par des politiciens visionnaires pour faire face aux problèmes de surpopulation menaçant la planète. En effet, le nombre de personnes pouvant prouver leur existence était bien inférieur au nombre de personnes physique. Ainsi, officiellement, le problème de surpopulation disparu.

Par la suite, le principe s’étendit. Si une personne existe légalement, alors elle ne saurait sortir du cadre de la loi. Ainsi, le moindre crime ou délit reléguait son auteur à un statut de non-existence, dont il ne pouvait ressortir qu’en démontrant formellement, d’une part, qu’il existait bel et bien, et d’autre part, qu’il n’avait rien à voir avec un précédent individu existant sorti de la loi et donc de l’existence ; ce qui décuplait la difficulté de la démonstration.

Mais quelques polylogiciens surent s’adapter à ce nouvel environnement absurde. Certains voulurent rester les seuls à bénéficier de ce luxe qu’était devenu l’existence ; d’autres prospérèrent en tenant commerce d’argumentaires clé en main auprès d’inexistants aspirant à l’existence.

Finalement, la masse des inexistants, mécontente du mépris qu’on lui accordait, décida qu’il pouvait être mutuel et que si les existants ne les reconnaissaient pas, il n’avait qu’à les ignorer. Ils établirent également le Principe d’existence :

« Chacun existe, sauf s’il le prouve. »

Et ainsi s’éleva un mur d’absurdité. D’un coté, les Xis se retrouvaient fort peu nombreux pour subvenir à leur besoins, que les Inex ignoraient malgré les protestations d’existence et l’accumulation de réclamations à la parfaite rhétorique. De l’autre, les Inex se démenaient avec les contradictions de leurs positions, alors que les meilleurs polylogiciens étaient restés « de l’autre coté» .

Entre les deux, coincés entre existence et non-existence, les démonstrateurs délictueux qui s’étaient trop acharnés à rejoindre l’existence pour le Principe d’existence, mais avaient fauté aux yeux de la loi existienne se trouvaient doublement inexistants.

Finalement, le synchrogicien Intramuros réalisa la fusion des principes d’existence et de non-existence par la formule refondatrice et réconciliatrice :

« La nécessité des preuves de l’existence ou de la non-existence d’un individu ne sont recevables que si elles proviennent de l’individu en question. Ainsi, existant, non-existant, sub-existant, méta-existant ou autre, c’est à chacun de se déterminer personnellement sur son degré de réalité. Quiconque dénie ce droit sera conséquemment, promptement et unilatéralement ignoré. »

Et tout fut pour le mieux.

 

 

 

 

Thomas Groux