Théâtre vomitif
Il
y a des jours où l’indignation se fait désespérée. Dans un grand théâtre
public, le Théâtre du Rond-Point à Paris, un metteur en scène reconnu, Rodrigo
Garcia, recrute 15 comédiennes pour un soir, dont le « rôle »
consistera, pour 200 € brut (environ 180 € net) à se faire tondre le crâne
durant la représentation.
Par la force des choses, il s'agit de CDD d'une journée…
Esclavage
moderne, exploitation éhontée de la misère des artistes, évocation toute en finesse d'un épisode peu
glorieux de l'épuration à la française,
cette répugnante
« offre d’emploi » aura été répercutée sans état d'âme par l’ANPE. Ça
n'étonnera que ceux qui n'ont pas subi l'humiliation qui est l'outil ordinaire de cette institution.
On retrouvera également cette annonce sur des sites de jobs étudiants, un autre milieu où la
misère est quotidienne.
Il
y a sans doute une grande naïveté à attendre des artistes qu’ils aient une
éthique sans faille. Il y a parmi eux des patrons qui ne dépareraient pas à la
direction du MEDEF.
S’humilier
plus pour gagner des cacahuètes, c’est la quotidien de milliers de
travailleurs, et il n’y a pas de raison pour que les artistes, les
intermittents, y échappent.
C'est aussi, c'est surtout, l'antithèse de ce qu'est le théâtre.
Le théâtre est là pour signifier, pour faire penser. Il n'a nul besoin de montrer "en vrai" pour cela.
Au contraire. Dans la pièce d'Edward Bond, "Café", on ne massacre "pour de vrai" des villageois,
mais le spectateur est transporté au milieu de la tuerie, il la voit et la ressent, sans qu'une goutte de sang
, même faux, ne coule sur la scène, sans qu'aucun comédien ne "joue" un cadavre.
S'il faut tout faire "en vrai", il n'y aura plus personne pour jouer Don Gormas…
Le choix de montrer un vrai rasage de crâne d'une femme humiliée
est celui du voyeurisme, du sensationnel à bon compte, non celui du théâtre.
Mais
on pourrait attendre de gens, les artistes, dont la fonction est d’aider à
penser le monde avec sa sensibilité, que leurs tripes se retournent devant ce
théâtre vomitif.
Quant
à Mme Albanel, la Brice Hortefeux de la culture, si prompte à tancer Henri
Taquet, le directeur du Granit de Belfort, pour un éditorial de brochure de
saison politiquement incorrect, on aurait peut-être pu espérer qu’elle réagisse à cette humiliation
publique
de femmes à qui leurs difficultés imposent de céder à cette infamie.
Mais
sans doute a-t-elle déjà cédé à l’injonction de sa collègue, Mme Lagarde, et
« cessé de penser ».
On
attend encore la pétition que ne manqueront pas de faire circuler le SYNDEAC et
les artistes en colère…
Michel
Thion
Voir
les détails, l’annonce en question et la salubre réaction de Fanny Carel,
auteure et comédienne, sur :
le site de l'hebdomadaire Marianne
Si vous avez l'estomac
bien accroché, vous pouvez aussi, pour vous donner une idée de ce que cela fait, aller voir la
courte vidéo
suivante : Archives INA
Bientôt sur scène au Théâtre du Rond-Point…