Merci Amin Maalouf

 

Coïncidence des temps : le même jour, Amin Maalouf publie un article dans « Le Monde des livres » daté du 10 mai 2006, intitulé « contre la littérature francophone » et je reçois chez moi le programme des « francofffonies » organisées par l’Association Française d’Action Artistique (AFAA), organisme culturel du Ministère des Affaires étrangères.

Amin Maalouf attire l’attention sur un fait sémantique bien de notre temps : l’inversion de sens du mot « francophone ». Ce terme qui devrait englober, inclure, tous ceux qui parlent et écrivent en français, est devenu, signe du fascisme rampant que nous vivons, une sorte de furoncle du sarkozysme culturel, un symbole d’exclusion. Sont « francophones » tous ceux qui parlent ou créent en français … sauf les français. Sont francophones les anciens ou actuels colonisés, ceux qui ont fait de la langue française un « butin de guerre », selon l’expression de Kateb Yacine.

« francophones aurait dû signifier « nous » ; il a fini par signifier « eux », « les étrangers », « les autres ».

Il s’agit bine des écrivains des pays du sud. Les auteurs d’origine étrangère écrivant en français, s’ils viennent d’Europe, sont des écrivains français. « Je n’ai jamais entendu décrire Apollinaire ou Cioran comme écrivains « francophones », écrit justement Amin Maalouf.

Quant au « festival francophone en France » (sic !), si plein de bonne conscience, il recense des spectacles venus du monde entier, du moins celui des anciennes colonies : Afrique, Asie, Antilles, etc… dans tous les genres, littérature, théâtre, danse (francophone ?), musique (francophone ?). Beaucoup de beaux spectacles, d’ailleurs, cela n’est pas en cause. Il nous donne à voir à quel point nos anciens esclaves sont créatifs (ils ont le rythme dans la peau ?), mais surtout sans les mélanger aux français de souche, qui ne sont pas, eux, « francophones ».

Il y là, pour le moins, une condescendance plus que déplacée et, sans doue, la mise en place d’un nouveau ghetto. La Francophonie serait-elle un « effet positif de la colonisation » ?

Amin Maalouf suggère qu’on devrait parler des « écrivains de langue française ». Il a sans doute raison, mais l’exclusion qui est le maître-mot de l’idéologie dominante risque bien de pervertir à son tour cette expression.

J’ai cessé de parler de « littérature africaine », je ne parlerai plus de « littérature francophone ».

En tout état de cause, merci à Amin Maalouf de nous rappeler, brutalement mais fort à propos, que les mots ne sont pas innocents, que la langue est un enjeu de pouvoir, un enjeu de la guerre idéologique de chaque instant, et que nous ne devons pas baisser la garde.

 

Michel Thion

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