Lettre ouverte à M. Christophe Donner

Monsieur,

À ma courte honte, je dois avouer que je n’ai lu aucun de vos livres. Hélas, je dois immédiatement tempérer cet aveu infamant par quelques circonstances atténuantes.

Autodidacte ou à peu près, il y a dans ma culture des trous béants. Vous êtes tombé dans l’un d’entre eux. Mais, j’en suis sûr, vous vous en remettrez.

Ayant découvert sur TV5 que vous étiez l’inventeur de « l’autofiction », j’imagine que vous êtes l’inspirateur de ces élèves Première « littéraire » qui m’ont asséné un jour que « l’artiste, c’est quelqu’un qui parle de lui ». Je ne suis pas de ceux-là, mais j’y reviendrai.

Enfin, poète obscur, je suis bien certain que vous non plus n’avez lu aucun de  mes livres. Mais, à mon tour, je m’en remettrai.

Car enfin, c’est là la raison de ce courrier. La deuxième phrase de votre article à propos d’un livre d’Hector Bianciotti, paru dans « Le Monde 2 » du 13 mai 2006, dit ceci : « Voilà un livre qui ne parle de rien, et qui, Dieu soit loué, n’est pas de la poésie ». Malgré la faiblesse de ma formation intellectuelle, j’en déduis que selon vous, on peut faire un livre qui ne parle de rien, à la seule condition qu’il  ne soit pas un poème. En corollaire, il apparaît que la poésie est un genre indigne et profondément méprisable.

Dois-je en déduire que vos livres ne parlent de rien ? Ce ne serait pas un encouragement à les lire…

Je n’aurai pas l’outrecuidance d’entamer avec vous une controverse littéraire. Mes titres sont trop dérisoires pour que j’apparaisse au-dessus de votre ligne d’horizon, vous qui êtes en quête de la « Vérité », moi qui ait la bêtise de penser que la langue parle du monde.

En définitive, je ne saurais trop vous encourager à persister à ne pas lire de poésie. Quel serait notre embarras, à nous autres poètes, si, par extraordinaire, vous vous mettiez à aimer ça. Nous ne saurions plus alors de quoi nous parlons et vous sèmeriez le désarroi chez les parias que nous sommes déjà.

Il est vrai que le risque est mince, mais notre situation est si fragile…

Malgré tout l’intérêt que présente, j’en suis sûr, l’eczéma qui ravage le fond obscur de votre nombril, je persisterai, quant à moi, à ne pas lire vos livre, à rester fermé à la « Vérité » qu’ils recèlent, et à perdre mon temps à lire et écrire de la poésie qui « parle de quelque chose ».

Je vous prie d’agréer, Monsieur, l’expression de mon indifférence polie, mais ferme.

Michel Thion

Poète mineur

 

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