Actualité de la prédominance…

 

Il y a dans le programme 2007/2008 du TNP de bien belles propositions : Vinaver, Nada Strancar chant Brecht, Nathalie Baye habite Zouc avec Hervé Guibert en fond d’âme, etc… bref, des spectacles qui font envie.

Mais, au passage, j’y remarque celui-ci : « Répétition. Hamlet », d’après William Shakespeare, mise en scène Enrique Diaz. On lit notamment dans la présentation du spectacle : « Une compagnie de théâtre monte Hamlet ; le personnage de Hamlet, à son tour, monte une pièce à l’intérieur de la pièce. Hamlet joue un fou, Ophélie devient vraiment folle, Tout le jeu des comédiens exprime ce dédoublement visible et permanent, ils n’hésitent pas à se glisser parmi les spectateurs, à leur susurrer quelques mots à l’oreille, ils demandent si quelqu’un a vu le fantôme. (…) La scénographie est très simple. C’est plutôt l’utilisation des objets, leur détournement ludique qui en tient lieu : des tapis rouges en guise de chapeau, des toupies et des bougies, des petites choses et des pantins mécaniques, un crâne de plastique trop neuf. Mais dans le sérieux du jeu, un pistolet d’enfant devient une arme mortelle.

Page suivante, un autre spectacle du même Enrique Diaz : « Seagull-play (La Mouette) »  d’après Anton Tchekhov : Après « Répétition. Hamlet », Enrique Diaz a décidé d’interroger le texte de La Mouette. On y retrouve la présence de Hamlet. (…) La Companhia dos Atores joue la pièce dans un espace vide pour mieux révéler sa construction quasi-mathématique. Elle ne joue pas « la » Mouette, mais « une » Mouette. Un ensemble de variations pour raconter l’histoire d’un jeune homme…

Ce type de trituration des textes emplira de nostalgie tous ceux qui ont vu le Hamlet mis en scène par Peter Brook, avec une implacable rigueur et une tendresse infinie.

Aujourd’hui, je songe à ce texte de Fruttero et Lucentini, écrit vers 1975, extrait de « la prédominance du crétin »… :

Toutes les possibles « lectures » et « relectures », variations, distorsions, contaminations, expérimentations, ont été à peu près mises en scène ; Hamlet sans son monologue ; Hamlet uniquement avec son monologue ; Hamlet ouvrier de chez FIAT ; Hamlet amant de Polonius ; Hamlet abattu par la CIA ; Hamlet séduit par Ophélie ; et aisi de suite, sous un « angle » tout à tour léniniste, néo-dandyste, néo-néoréaliste, écologiste, féministe…

Mais les « angles » ne pouvaient suffire à assouvir une telle faim, les œuvres conçues et écrites pour le théâtre, pourtant innombrables, n’étaient cependant qu’un buffet limité. Pourquoi s’arrêter là, alors qu’il y avait des siècles, des millénaires de culture disponibles ?

Et voilà donc Héraclite adapté pour marionnettes ; voilà une comédie musicale sur Rimbaud ; la Bible en pantomime ; les Sœurs Karamazov ; Gibbon en « tableaux vivants » ; Montale électronique ; la parodie de Léonard de Vinci ; Kepler en dialecte des Pouilles ; Tacite en Arts-Déco. Il n’existe littéralement rien que ces dévoreurs formidables n’osent mordre, engloutir, digérer, réduire en bol alimentaire, en bouillie, en chyme : et jamais ne semble les effleurer l’idée de se mettre là, avec un stylo et du papier, et d’essayer d’inventer quelque chose de leur cru.

Un dernier détail : au Théâtre National « Populaire » le prix de base des places va de 13 € soit 85 francs (chômeurs, etc…) à 23 € soit 150 francs, « plein » tarif…

 

Michel Thion

 

 

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