Voeux pour 2003


À tous,

Salut et fraternité.

Aujourd'hui, la pensée est devenue une maladie contre laquelle on vous vaccine, dans les écoles où l'on devrait vous contaminer.

On nous dit : dormez, nous ferons le reste.

On nous dit : tout est simple, ne vous fatiguez pas à chercher des explications compliquées au monde.

On nous dit : le libre marché puisera dans votre libre vie, jusqu'à la réduire à un libre néant, mais vous aurez brûlé votre vie pour notre prospérité.

On nous dit : l'art ce n'est que ce qui se vend.

On nous dit : nous pensons pour vous, en échange produisez et consommez pour nous.

On nous dit : mourez en silence, nous avons pensé à tout.

La politique apparente n'est plus qu'un pauvre cache-sexe, brandi par des communicateurs débiles,
qui masque mal l'avidité brutale des actionnaires de la mort et l'impatience intéressée des tueurs de l'art et de la pensée.

En échange, je vous propose une année pleine de colères actives, de lucidité agissante et d'imagination fertile et ouverte,
et aussi remplie de tendresse, d'humanité et de vie.
Une année pour construire ensemble. Une année pour balayer toute poussière dans la maison des morts.

N'oubliez pas : ceux qui vous conseillent de porter une ceinture et des bretelles, pour la sécurité de vos pantalons,
vous poseront demain des menottes et un bâillon, toujours pour votre sécurité.

Dans notre jardin, cette année, les technocrates efficaces, les financiers obtus, les glauques tripoteurs de la sensiblerie publique,
les militaires qui "on peut cogner chef ?", les boursiers mélancoliques, les censeurs imbéciles,
les bigots crapoteux d'un académisme ranci, les grenouilles clapotant misérablement dans les bénitiers fêlés des marchandises moribondes,
les adeptes moisis d'un conformisme obscène, les cagots et les contempteurs intéressés de toute nouveauté,
les clones affadis, les reproducteurs sélectionnés, les publicitaires escamoteurs, les mercenaires décatis de toutes les soupes artistiques,
les sicaires abrutis et les janissaires obtus, les calculateurs des intérêts composés,
et tous les mangeurs de charogne moulée à la louche qui prétendent gouverner nos pensées et lyophiliser nos amours
seront changés en fleurs de pissenlit pour le plus grand bonheur des chèvres.

Soyons ensemble aventuriers de haute mer, partageux, coureurs nocturnes, architectes de l'impalpable,
cueilleurs de fleurs de givre, visionnaires fiévreux, rêveurs de jonques, oiseaux multicolores, voyageurs sans bagages,
porteurs de mémoires et de rires, visitons tous ensemble Bételgeuse et Aldébaran, ouvrons nos portes à tous les vents,
respirons les odeurs du monde, le piment de l'art et la cannelle de l'amour, la coriandre et la cardamome venus du fond des âges.
S'il le faut, nous retournerons dans nos cavernes peindre des bisons sur les murs, nous danserons les danses du feu et du vent,
mais nous rirons encore ensemble au spectacle des enfants du monde.

No pasaràn !




Fête des feuilles 2007 - "tempus edax rerum" - oeuvre de Jean-Christophe Alix - photo © Stéphane Rambaud






lettre pour 1997